Le quartier
Siloé, du temps de Jésus, était une piscine aux eaux miraculeuses, dans un environnement de verdure, symbole de douceur, image de la protection de Dieu. C’est là que le Roi David – selon la Bible - a créé Jérusalem, appelée « Cité de David « . Au temps de Jésus, une tour de Siloé en tombant a écrasé 18 personnes, un fait divers peu connu comme il y a en a tant aujourd’hui. Ce quartier, aujourd’hui appelé Silwan, est situé en dessous de la mosquée Al-Aqsa et du Mur des Lamentations, au versant sud de Jérusalem-Est. Cet immense quartier qui est presque une ville avec ses 55000 habitants domine les vallées du Cédron et du Gihon. C’est un quartier le plus peuplé et le plus pauvre de Jérusalem-Est. Il est oublié par la municipalité, il n’y a aucun infrastructure, pas d’éclairage, par de route, pas de service de voirie. Ecole, services sanitaires et sociaux sont totalement négligés. Comme au temps de Jésus, ce qui s’y passe est peu connu.
Les colons
Grâce à la loi des biens des absents d’Israël, l’Etat d’Israël s’est approprié à Sylwan de nombreux terrains appartenant à des Palestiniens, propriétaires de terres, d’oliveraies, d’immeubles, de maisons mais n’habitant pas sur place, ils sont considérés comme « absents « et leurs biens sont confisqués. Ainsi depuis 1990, les colons juifs se sont installés dans ce quartier. 400 colons vivent ici. Ils ont occupé des maisons, chassé les habitants et mis le drapeau israélien sur les toits. Les jugements rendus par la Cour suprême d’Israël, déclarant illégale l’occupation des maisons palestiniennes, ne sont pas appliqués.
Les fouilles
Sylwan – explique Jawad Siyam – existe depuis 5000 ans. Ce site renferme des vestiges de la civilisation cananéenne, perse, grecque, romaine, byzantine, islamique, ottomane et des croisés. Aujourd’hui, des fouilles importantes sont faites, malheureusement elles nient les civilisations installées au cours des siècles pour faire de ce lieu le symbole de l’histoire juive. Entreprises par Elad, une organisation de colons, créée par David Be’eri, financée par de nombreux donateurs russes et américains dont Irving Moskowitz , l’objectif avoué ou inavoué est de détruire Sylwan pour en faire un magnifique parc d’attraction autour de l’histoire du Roi David. Les fouilles fragilisent les maisons, fissurent murs et toits, elles s’effondrent à cause des tunnels creusés dans le sol. Certains archéologues désapprouvent la manière dont ces fouilles sont gérées et ils ont déposé en 1992 une plainte auprès de la Cour suprême demandant à ce que ce groupe privé Elad soit dessaisi de la gestion du site. Mais sans succès…la plainte n’a pas été prise en compte.
Les enfants et adolescents
Il n’y a pas assez d’écoles pour tous les enfants et adolescents, si bien que certains y vont le matin, d’autres l’après-midi. 52% des jeunes ne sont pas scolarisés. Il y a trois parcs publics pour l’ensemble de la population, alors les jeunes jouent au foot dans la rue. Quand ils voient passer une voiture militaire, ils jettent des pierres. Ils sont arrêtés, maltraités, souvent blessés par les forces de l’ordre. Un enfant de 5 ou 6 ans reste généralement une demi-heure dans les locaux de la police, mais comme dit Jawad Siyam, cela suffit pour le faire passer de l’enfance à l’adolescence. Les ainés peuvent être envoyés en prison pour un mois voire plus. La jeune génération est assez violente, elle a souvent envie d’en découdre. Israël le sait… et a choisi d’éradiquer la jeunesse. Les arrestations à la sortie de l’école, dans la rue, la nuit dans les maisons sont quotidiennes pour briser la résistance des jeunes.
Jawad Siyam
C’est là que Jawad Siyam est né, a passé son enfance et adolescence et c’est là qu’il vit et travaille aujourd’hui.
Fawad Siyam est venu en France invité par l’Association France-Palestine-Solidarité. Je l’ai entendu à Paris où il a montré un petit documentaire sur Sylwan et son travail dans ce quartier. Il a ensuite été Lyon où je l’ai accompagné, puis en Avignon et à Bourg en Bresse.
C’est un jeune homme de 43 ans, marié à une serbo-bosniaque, ils ont deux enfants, une fille et un garçon. C’est une très belle personnalité, il est discret, engagé, convaincu, il a beaucoup d’humour, et il a toujours un léger sourire sur ses lèvres. Il fume comme un pompier. Pour savoir ce qu’il fait, ce qu’il pense et comment il vit à Sylwan, il faut le titiller, car il ne raconte rien de lui-même spontanément.
Arrivé à Zurich où il changeait d’avion pour venir à Paris, il a eu un coup de fil de la police israélienne.
– A mon retour, je vais aller en prison.
– Tu dis ça, comme moi je dis, je vais aller à Carrefour.
– C’est sympa d’aller en prison, je vais revoir tous mes amis, je n’y resterai pas très longtemps
– C’est quoi, pas très longtemps ?
– Trois mois, plus ou moins.
Depuis l’âge de 12 ans, Jawad Siyam connaît la prison. Il y a fait des séjours réguliers entre 5 et 15 mois. Son fils, 6 ans, a aussi été arrêté. Fayad Siyam a été torturé à l’âge de 14 ans. A la suite de graves blessures à la tête, il a perdu une oreille. Il reconnaît qu’aujourd’hui en prison, les sévices sont moins douloureux qu’autrefois, mais ils restent pour les enfants et les jeunes une torture physique et mentale.
Jawad Siyam a fait des études de communication et de sciences politiques à Berlin en Allemagne de l’Est. Il a vu le mur tomber…Il les a poursuivies en Turquie. Désormais, il vit seul à Sylwan, car sa femme n’a pas supporté le stress quotidien, ni l’arrestation de son jeune fils, pas plus que les nuits où la police entrent dans les maisons. Elle vit actuellement à Beit Hanina et espère pouvoir partir rejoindre les siens en Bosnie, car elle qui a connu la guerre, la « vraie », ne supporte pas du tout cette guerre larvée en Palestine.
Jawad Siyam veut rester à Sylwan. Il a une carte permanente de résident allemand ce qui lui permet de quitter le pays et de rejoindre sa femme, ses enfants en Bosnie s’ils décident de partir. Il est animateur de rue et s’occupe des jeunes adolescents qui travaillent sur les marchés à Jérusalem et qui sont SDF. Certains sont orphelins, d’autres ont un père en prison, d’autres ont quitté Ramallah, Nablus, Hébron pour venir travailler à Jérusalem pour subvenir aux besoins de leurs familles.
Le « Centre Wadi-Hilweh »
Au centre de Sylwan, le lieu le plus touché par les fouilles et les démolitions de maisons, Fawad Siyam a ouvert un centre « le Wadi-Hilweh Center« qui accueille les enfants et les adolescents dans divers ateliers : bibliothèque, peinture, danse, chant, informatique. Face à la brutalité des soldats, de la police mais aussi des jeunes palestiniens, Jawad Siyam veut en faire un centre culturel d’échanges, de rencontres, de partage où les enfants et les adolescents peuvent vivre comme des êtres humains. Il refuse de faire de la politique avec les enfants et les jeunes. Il sait qu’il est plus difficile de leur apprendre à tenir un stylo plutôt qu’à jeter des pierres, mais les études, l’éducation, la formation sont pour lui les seuls outils capables de défendre la dignité de chacun. Ce lieu doit être une sorte de « refuge « loin de la peur, des cauchemars, du stress.
Après la première Intifada, les femmes restaient cloîtrées chez elles. Seules 3 à 5 femmes ont eu la force de sortir pour venir au centre, aujourd’hui, elles sont au nombre de 95. Elles font de la cuisine et ont édité un livre de recettes palestiniennes. Ces rencontres sont pour elles des moments d’échanges, de discussions autour des questions politiques, mais aussi d’éducation des enfants et de leur quotidien.
Fawad Siyam se demande s’il est encore possible d’empêcher les colons de s’installer là, c’est pourquoi il est important que le monde sache ce qui se vit à Sylwan. Il utilise les outils de la communication, sites, twitter, facebook, you tube pour raconter et montrer le quotidien du quartier.
Il y a parfois des lueurs d’espoir. De plus en plus de touristes choisissent ce que l’on appelle « le tourisme alternatif « . Accompagnés par un guide, ils s’arrêtent au Centre Wadi Hilweh. Là, ils sont reçus par Fawad Siyam ou Ahmad , blessé par un soldat qui a tiré dans ses jambes ou encore par les bénévoles. Plusieurs reportages ont été ainsi diffusés dans le monde, des articles de journaux ont été écrits, et dernièrement, le tribunal a déclaré qu’il était impossible d’exproprier des terrains privés pour créer des parkings. Et c’est dans un grand sourire que Fawad affirme : le centre Wadi Hilweh a encore un bel avenir devant lui.
Facebook : Wadi Hilweh Information Center
Martine Millet AFPS-Versailles - 20 mai 2013